dimanche 24 mars 2013

La route de la Kolyma De Nicolas Werth

J'ai eu la chance de faire partie du jury  (composé de 21 personnes venues de toute la France) "prix essai France Televisions" présidé par Olivier Barrot.
J'ai ouvert le bal en parlant de mon coup de coeur parmi les six essais en lice.

C'est avec beaucoup d'émotions que je me suis livrée à cet exercice de style. Je suis revenue sur la petite musique des mots de  Varlam Chalamov qui m'a accompagné tout au long de la route de la Kolyma.


 Je vous livre ici ma fiche de lecture.





La Kolyma : une contrée isolée de la Sibérie située à 9 h de vol de Moscou, tristement renommée pour être la région emblématique du goulag. Un pays où l'on arrive mais dont on ne revient jamais.

"Kolyma, Oh ma Kolyma ! Une planète enchantée, Douze mois l'hiver, Le reste c'est l'été"... Le couplet de cette chanson résume l'atmosphère particulièrement émouvante de ce carnet de voyage. Au côté de l'auteur, je me suis laissée embarquer dans ce road movie où l'âme des damnés semblent encore flotter au dessus des pistes de la Kolyma.

Nicolas Werth est parti lors de l'été 2011 à la recherche des traces du plus grand centre concentrationnaire (sous Staline) du XXème siècle.  L'auteur a souhaité mettre de côté son analyse des archives déshumanisées du goulag pour rencontrer les derniers survivants des camps qui se sont regroupés en une ONG russe "Mémorial".

Seulement les traces se sont effacées dans ce milieu que l'homme n'a jamais vraiment conquis. La nature reprend ses droits...

"On n'a pas eu besoin de détruire les camps pour en éliminer les traces. Il a suffi de laisser les lieux à l'abandon pour que les traces disparaissent d'elles-mêmes. Les barbelés, les miradors, les briques des cachots; le bois des baraquements ont disparu, arrachés, démantelés, emportés par les habitants qui se sont tout simplement servis. On a toujours manqué de tout ici...Aujourd'hui le paysage de la Kolyma a éliminé son passé." (page 110)

Cependant, je repense à ce témoignage  de Miron Markovitch âgé de 82  premier ancien "zek" de la kolyma page 21 :


"Des traces ? Je ne comprends pas. Ce n'est pas le mot qui convient. Le Goulag, il est dans nos gènes. Il fait partie de notre patrimoine génétique (...)
Le camp est une école de décomposition pour tous. L'homme en sort irrémédiablement abimé. Notre peuple tout entier a été abimé par cette expérience collective, le Goulag est entré dans nos gènes."

Entre 1930 et 1955 : 20 millions de soviétiques sont passés par ces camps : 2 millions sont morts, 1 million ont été exécutés.

Durant la Grande terreur, ceux qui participaient à cette entreprise concentrationnaire pouvaient voir leur destin basculer à tout moment et voir leur statut de bourreau changé en victime...

Granit Timofeievitch s'entretient avec Nicolas Werth page 120

"Dans ce domaine, le Goulag offre , sans nul doute, un champ d'investigation incomparablement plus riche et complexe que les camps nazis. Pour toute une série de raisons. Je me bornerai ici à en mentionner rapidement trois : Le caractère cyclique des campagnes de répression visant des catégories différentes, ce qui contribuait à un brassage constant de la population des camps; le fait que la répression stalinienne frappait périodiquement  ses propres exécutants, créant une sorte de "roulement" à l'intérieur de la population concentrationnaire, le bourreau d'hier devenant la victime d'aujourd'hui ; (...) . Les zeks avaient trouvé une belle et dérisoire formule pour qualifier ce système : ils l'appelaient "l'élastique de Krylenko", du nom du Commissaire du peuple à la Justice...."

Dans ce no man's land, ce sont les militants de la mémoire, ces "Zek" les détenus de l'enfer qui érigent les monuments aux victimes et non les autorités.

Depuis que j'ai refermé le livre, me reviennent souvent en mémoire les mots de Varlan Chalamov *:

Sur les décombres de la Serpantine fleurit l'épilobe, fleur des incendies et de l'oubli, ennemie des archives et de la mémoire humaine.
Avons-nous jamais été ?
Je réponds : oui. Avec toute l'éloquence d'un procès verbal, toute la responsabilité et la rigueur d'un document.



* V.Chalamov "le gant" récit de la Kolyma.

Avec l'auteur Nicolas Werth et deux membres du jury
© Maryline Martin
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